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Récit de vie 2
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Prostitution > Récit 3 : témoignage d'André

 

Cet entretien a été enregistré le 9 décembre 1993. "André" est un pseudonyme ...

André : Je m’appelle André, j’ai 31 ans et je suis atteint du HIV depuis 10 ans. Mon père est décédé en 1976. J’ai un demi-frère qui est décédé en 1978 et je viens de perdre ma mère il y a 3 ans, elle avait 52 ans. [silence]

Yves Lambert : Vous aviez quel âge en 1976 ?

16 ans. Je vivais dans les foyers. J’étais placé par le juge des enfants qui s’appelle Madame L. [silence]

Vous avez été placé ?

Parce que ma mère ne pouvait pas s’occuper de moi. Moi, je ne pouvais pas rester comme ça, dans la rue parce que … parce que, tous les foyers que j’ai faits, je fuguais. C’est pour ça que, le Comité de Probation, ils ont dit que j’avais un problème psychologique. [silence]

Quand vous étiez petit, de quoi vous vous souvenez ?

Il y avait ma mère, mon père quand il était encore vivant, il y avait mes frères et mes sœurs mais, la plupart d’entre nous, on était placés, alors je m’en souviens très vaguement parce que … il faudrait demander à J. [un prêtre, qui connaît la famille], parce que, moi, je m’en souviens plus.

Ce qui nous intéresse, c’est que ce soit vous qui racontiez, pas quelqu’un d’autre. Vous êtes d’accord ?

Oui mais ça va me faire chialer … ça va me faire chialer de raconter l’histoire-là, quand j’étais jeune. C’était très dur  Surtout de la façon que j’ai vécu, en me prostituant pour gagner du fric. J’avais 16 ans, à Paris, à Lyon … Enfin, j’ai commencé à Nancy, place Carnot. J’ai commencé à me prostituer parce que je ne voulais pas aller de droite à gauche. Je me suis prostitué pour gagner du fric, pour éviter de voler et puis d’aller en prison. Mais … quand j’étais plus jeune, ça marchait bien.

Plus jeune ?

15/16 ans. [silence]

On va revenir à cette période, mais, avant, vous étiez ou à l’âge de 10 ans ?

A 10 ans ? J’étais à **, un foyer, un centre pour enfants, un centre d’observation. J’ai quitté ma famille très tôt, 5 ans. Mais je voyais mes parents régulièrement. Je voyais mon père tous les mois, quoi. Et, mes sœurs, je les voyais quand je fuguais du centre, autrement, on se voyait pas. Autrement, mes sœurs maintenant, elles ont des gosses.

Vous en aviez combien, des frères et sœurs ?

Quatre. Quatre sœurs et trois frères. C’est moi le quatrième. Mais je suis né le premier.

Vous êtes né le premier ?

Je suis le premier de ma mère. Les autres, c’est des enfants de mon père et de mon beau-père. [silence]

C’est important d’être le premier de sa mère ?

[silence] Oui et puis non. J’arrive pas à faire la différence, si c’est important ou pas important d’être le premier de ma mère. Je me rappelle, quand j’avais 5/6ans, je voulais toujours lécher les seins de ma mère. Je voulais prendre du lait, quoi. [silence]

Vous vous en souvenez ?

J’y pense beaucoup. [silence]

Alors, qu’est-ce qui se passait à ce moment-là ?

Rien de spécial. Elle acceptait. Elle a accepté pendant 2 ans. Après, je m’en souviens plus. [silence]

Tout à l’heure, vous avez dit que votre père est décédé en 1976. La même année, vous commencez à vous prostituer.

Il n’y a pas de rapport entre les deux. J’avais déjà fait une huitaine de jours de prison pour un vol. Et je voulais pas retourner en prison, alors, à la place de voler et d’agresser des grands-mères, pour gagner des sous, je vais me prostituer et puis, c’est tout. Mais il y avait personne qui le savait et il y a toujours personne qui le sait. A part vous et puis ATD-Quart Monde. Personne le sait, de ma famille. [silence]

C‘est la raison pour laquelle, dans le témoignage, ce sera important de changer les noms.

Ca me dérange pas. [silence]

Donc, vous commencez à vous prostituer place Carnot.

Au début, on me prenait pour…enfin, place Carnot, j’ai rencontré un type qui bosse à Nancy et il me proposait de faire des photos pornos. Mais je ne dirais pas son nom. Il me donnait 30 balles pour une dizaine de photos. Je me mettais à poil et il prenait des photos. Avec des poses, tout le bordel, quoi. Comme dans les machins-là … les revues … c’est comme si j’étais une gonzesse … pornographique, un truc comme ça. Et puis voilà quoi. Mais, le gars, il était bien, le gars. C’était dur. Pas dur pour lui mais dur pour moi. [silence] Et puis autrement, je me prostituais vraiment … C’était à Nancy, Paris, Lyon …Et puis, des fois, je me faisais payer par le mec qui me donnait 10 francs le matin pour le café, les clopes. Sinon, c’est 100 balles la passe. On appelle ça la passe. Je suis souvent tombé sur des arabes et tout le bordel. Ils me filent 10 balles, "je passe le soir et je te donnerai plus." Ca, c’était à Lyon. La plus grosse somme que j’ai gagnée, c’est 400 balles. Un mec à Paris. Il se masturbait, je lui touchais les couilles, enfin … Il m’a filé 400 balles mais c’est la première fois que j’ai gagné autant. [silence]

Et ça a duré combien de temps ?

[sifflement pour dire longtemps]

Encore maintenant ? De temps en temps ?

Ca dépend. Ca dépend.

Ca dépend ?

Il y a 2/3 ans que j’ai fini tout ça. Parce que j’ai besoin de fric. Et puis … [silence]

Vous avez quel âge ?

31 ans. C’est comme quand j’étais en prison, la seule prison que j’aime bien, au niveau de l’incarcération, c’est Fresnes, à Paris. Parce que tous les homos, tous les gens un peu spécial, ils sont séparés. Parce qu'on a peur … parce que j’ai peur de tomber sur les autres qui nous cassent la gueule. Parce qu’on est comme ça, on est comme ça, et puis voilà. Les homosexuels, les bisexuels qui sont emprisonnés.

C’est une mesure de protection, c’est ça ?

Oui. J’ai demandé, j’ai dit que j’étais bisexuel. Parce que je savais qu’il n’y avait pas de problème.

Vous vous considérez comme bisexuel ?

Oui, bisexuel. [silence]

Ca veut dire que vous aimez autant les femmes que les hommes ?

Les hommes pour l’argent, les femmes pour le plaisir. Parce qu’avec les femmes, on peut pas demander des sous. Et la prison que je veux choisir, c’est Fresnes, si j’ai de la cabane à faire ou quoi que ce soit [André vient d’être condamné à 3 mois fermes pour vols]

Tout à l’heure, vous avez dit que la prostitution, c’était dur.

Ce qui est dur, c’est que avant d’aller avec le mec, je suis obligé de boire. Autrement, je peux pas. Je peux pas baiser. De boire, c’est une façon de faciliter. Parce que j’ai beaucoup bu de trucs, d’alcool dans le sang, et puis je pars facilement alcoolique. Quand je bois.

Et vous buvez beaucoup ?

Oh oui de la bière. 3 ou 4 litres par jour. A moins qu’on m’offre un pastis ou des trucs comme ça. [silence] J’ai fait une gosse aussi. Je sais même pas si elle est de moi mais je pense qu’elle est de moi. Enfin, j’en ai une à Metz et une à Lyon. M., née le ** 91, que j’ai pas le droit d’aller la revoir … Le juge, il ne veut pas, le juge pour enfants. [il allume une cigarette]

Vous avez une fille M., elle a 2 ans.

Elle est dans un foyer de la DDASS, à Lyon. Mais, des fois, j’ai envie de remonter à Lyon pour la reprendre.

Cette femme, avec qui vous avez vécu à Lyon …

Avec laquelle j’ai eu un enfant.

… elle avait d’autres enfants ?

Trois, ils ont été placés par le juge des enfants parce qu’elle pouvait pas s’en occuper. Moi, je les ai reconnus. Et, pourtant, je les ai jamais vus, les gosses.

Vous avez reconnu des enfants que vous n’avez jamais vus.

Oui.

Vous en avez reconnu d’autres, des enfants ?

Oui. Ceux de L. à Nancy. Deux enfants.

Vous les avez reconnus. Donc, ce sont vos enfants.

C’est pas moi le père.

Pour la loi, c’est vous le père puisque vous les avez reconnus.

Oui. Normalement. Mais j’en ai d’autres que j’ai pas reconnus.

Ces enfants, à Lyon et à Nancy, pourquoi vous les avez reconnus ?

Parce que je voulais fonder une famille. Parce que je pensais qu’avec les mères, enfin … avec les femmes, ça resterait. Je pensais que je resterais avec, pour me marier. [silence]

Et ça n’a pas marché ?

Non, je sais pas pourquoi. Ou je me sentais trop faible ou je me … je sais pas. A Lyon, ça n’a pas marché parce que, la fille, c’était une gamine. Elle a 27 ans mais on lui donnerait 16 ans d’âge mental. Et puis, elle sait pas s’occuper des gosses. Moi, je me levais à quatre heures du matin pour travailler, je rentrais, j’étais fatigué, je dormais un petit peu, et, après, il fallait que je fasse la cuisine pour que je mange. Elle savait ni faire la cuisine, ni s’occuper des gosses. Je lui en veux pas, mais … J’ai vécu avec pendant 4 ans. [silence]

Quand vous viviez avec ces femmes, donc en couple, en famille, vous vous prostituiez aussi ?

Non. Jamais. Quand on a une famille à côté (je parle pas de mes frères et sœurs, de ma famille), je mélange pas les serviettes et les torchons. Parce que c’est une question de respect, c’est une question de … Parce que je respecte les femmes, enfin, … la femme. Et puis les gosses. [silence]

Vous avez reconnu des enfants. Ces enfants, vous les avez jamais vus, et, aujourd’hui, vous êtes poursuivi pour non-paiement de pension alimentaire.

Je trouve ça bizarre parce qu’elle porte plainte. Enfin, elle a pas porté plainte, elle a demandé au tribunal de Nancy, au bout de 10 ans … [silence]

Au bout de 10 ans, elle a demandé au tribunal que vous, qui êtes le père légal, payiez une pension alimentaire pour l’entretien de ses enfants.

Que je n’ai jamais vus. [silence] De toutes façons, j’ai fait appel pour cette affaire. [silence] J’espère pouvoir réussir pour ne pas payer. Ou payer moins. Si je peux payer 100 balles par mois, c’est bon. [silence]

Vous nous parlez un peu de votre maman ?

Ma mère vient de mourir en 1991. Le ** 1991. Elle est morte d’une …Elle était souvent dans la rue et puis, il y avait J. qui la recevait tout le temps.

Vous nous dites qui c’est, J. ?

C’est un curé que j’ai connu à ATD Quart-Monde, qui était bénévole. D’ailleurs, je le rencontre moi-même chez lui, à son domicile, pour manger, tous les mercredis. Et, J., je le connais depuis 1978. Et puis, ma mère, elle était sous tutelle et c’était lui qui … [silence]

Votre mère était sous tutelle.

Elle savait pas digérer [sic] son budget, elle aussi.

Elle savait pas digérer son budget ?

Oui. bon, ben, et puis, il faut dire, on lui a volé plusieurs fois quand elle était … des trucs. Et voilà, quoi. C’était J. qui était son tuteur. [silence]

Les dernières années, elle vivait où ?

Elle vivait rue Sainte-Anne. Enfin, avant, quand il y avait Sainte-Anne [un centre d’accueil pour clochards et grands marginaux], elle vivait là.

Combien d’années, elle est restée à Sainte-Anne ?

Je m’en souviens plus.

Vous la voyiez, quand elle vivait à Sainte-Anne ?

Oui, j’allais la voir à Sainte-Anne tous les soirs pratiquement.

Elle était comment ?

Malheureuse. De vivre à Sainte-Anne, d’être dehors, de ne pas manger le matin et à midi. elle avait qu’un casse-croûte le soir. [silence]

Elle buvait votre maman ?

De temps en temps, oui, des martinis. [silence] Ensuite, elle est partie au CPN [Centre psychothérapique de Nancy] parce qu’elle avait une maladie très grave. Moi, je sais même pas c’est quoi. En tout cas, elle pouvait pas aller au CPN … Ils l’ont mise au CPN en attendant de trouver une place dans une maison spéciale pour … je sais pas. Mais J. le sait. Parce que, moi, je m’en souviens plus. [silence]

Vous l’avez appris comment, sa mort ?

[silence] C‘est P. qui m’a appelé.

Qui est P. ?

C’est mon frère. C’est P. qui m’a appelé, il m’a dit : il y a J. qui doit te donner des sous. Alors, moi, je dis : ben, j’arrive. Il m’a dit : non, je viendrai te chercher. Et, puis, je savais pas que ma mère était morte. P., il est venu à Lyon, il m’a appris la nouvelle. Ben, j’ai pleuré. Et puis, je lui ai dit : monte boire un café. Parce que j’ai été le chercher en bas. A la baraque, j’ai pleuré tout le temps. Et puis, C. [sa copine] m’a coupé : pourquoi tu pleures ? Je lui ai dit : ma mère est décédée. Elle a dit : quoi ! c’est pour ça que tu pleures ! Ma copine C. ... On a bu un café et puis on est reparti en voiture le jour même. Le lendemain, on a été à la morgue. C’était dur. [silence]

Vous avez été la voir, c’est ça ?

Oui. [long silence]

Donc, elle a été enterrée …

Ben, oui, au cimetière du Sud. Quand … [silence]

Vous alliez dire quelque chose. Quand …

Quand je l’ai vue à la morgue, je l’ai embrassée sur le front. En signe de respect. Et puis, pour la belle-mère de C., j’ai fait pareil. Elle est décédée le ** 1992. [silence]

Et vous allez sur sa tombe, parfois ?

Ben, justement, je devais y aller avec J. pour la Toussaint mais on ne s’est pas vus. J’ai vu sa bécane, j’ai essayé de le trouver dans le cimetière, je l’ai pas trouvé. Parce que je savais pas où elle était.

Vous aviez été à l’enterrement ?

Bien sûr, mais je sais plus où elle est.

Depuis l’enterrement, vous n’y êtes jamais retourné ?

J’y suis retourné mais avec une de mes sœurs. C’est pas pour ça que je m’en souviens, parce que, le cimetière c’est tellement grand. Et puis, moi, j’ai peur d’y aller tout seul parce que je pourrais pas tenir. Il y a des fois, je bois, je bois, et je me dis, à huit heures du soir, je voulais aller sur la tombe de ma mère. Et j’y serais passé toute la nuit. Même que le cimetière est fermé. Et après, je voulais prendre des cachets. Puis, j’ai pas réussi. Parce que moi, toute la famille est importante pour moi. Mais, le plus important, c’est ma mère. Elle avait 52 ans quand elle est décédée. Mais, d’après le CPN de Laxou, ils ont dit qu’elle a pas souffert. Crise cardiaque … mais on peut pas savoir. Parce que c’est pas nous qui meurt. On peut pas savoir. [silence]

Vous y pensez souvent ?

Très souvent. Et, quand j’ai envie de pleurer, je vais voir les gens, J. ou Guy Gilbert, à Paris. Et puis, ici, quoi. [silence]

On change de sujet ?

Oui.

Quand avez vous appris que vous étiez séropositif ?

Depuis 1985 ou 1986.

Vous nous racontez comment ça s’est passé ?

J’avais un chancre sur la queue et, puis, c’est comme ça que … A ce moment là, j’étais à Nice. Mais, avant, j’ai été à l’armée et puis j’ai pas pu la faire parce que j’étais fatigué. Ils m’ont réformé. J’ai peut-être fait deux mois d’armée, pas plus. Tous les soirs, je fuguais.

Alors, vous aviez un chancre sur la queue, vous avez été à l’hôpital …

Oui. Ils m’ont passé des examens, tout le bordel. Ils m’ont mis des tire-bouchons au niveau de la machine, là. En plastique. Des espèces de tire-bouchons. Et puis c’est comme ça qu’ils ont su que j’étais … euh … mais, après, je savais pas ce que c’était, la séropositivité, d’être malade du sida. Maintenant, je fais la différence. Ca veut dire que, le sida, c’est plus important que la séropositivité. Parce que dès qu’on a le sida (moi, je l’ai sans l’avoir), le virus peut déclencher certaines maladies, il peut se déclencher du jour au lendemain, et je peux vivre pendant 2/3 mois, pendant 15 jours, mais, pour le moment … Mais ce que je supporte pas, c’est les cachets d’AZT. Je dégueule tous les matins à chaque fois que je les prends. J’en parle aux médecins mais ils me disent rien. Ils me disent pas pourquoi. Mais je continue à les prendre. [silence]

Actuellement, vous vivez avec une femme …

Oui. B. qui a 54 ans.

… qui a 54 ans, oui.

Depuis 3 mois. On a des relations sexuelles ensemble mais sans préservatifs parce que, moi, j’aime pas, ça me coupe tout. Je peux plus avoir d’érection. Mais, elle le sait de toutes façons. Elle le prend bien. Elle est malade, mauvaise circulation du sang. Elle a des … des machins aux jambes, là, des … des crevasses … des …

Des varices ?

Des varices. A une jambe. Et puis, normalement, elle devrait se faire opérer. Mais c’est dur, quoi. Aussi bien pour elle que pour moi.

Tout à l’heure, vous avez dit que, quand on avait le virus du sida, d’un jour à l’autre le virus pouvait se déclencher, et que, s’il se déclenchait, on allait en mourir, c’est ça ?

Oui.

Et vous savez que le virus du sida se transmet par le sperme.

Par le sperme ou le sang.

Oui.

[silence]

Donc, vous savez qu’en faisant l’amour avec B. sans préservatif, il y a de fortes chances que vous la contaminiez.

Oui, je lui ai dit. Ca me fait chier dans un sens, mais, on est obligé de faire comme ça. Un mec et puis une femme, ils sont obligés d’avoir des rapports, ils sont obligés. [silence] Elle non plus, elle veut pas des préservatifs. Moi, je lui ai dit : écoute, de toutes façons, ça fait 10 ans que je suis malade et je suis toujours là. [silence]

Ici, quand vous venez, vous prenez souvent des préservatifs …

C’est pour m’amuser avec. [il rit]

Vous vous amusez avec.

Je m’amuse avec. Pour essayer de les mettre. Mais j’y arrive pas. J’ai aucune érection quand j’en mets.

Il faut bander avant, hein !

Oui, oui.

Rien que de l’avoir dans la main, vous n’arrivez plus à bander.

C’est ça. C’est pour ça que je peux pas les mettre mais j’ai essayé plusieurs fois, là, j’y arrive pas. Ca va peut être venir. [silence]

Vous vous entraînez.

C’est dur, hein

Et pendant ce temps, vous avez toujours des rapports avec B.

Oui. Je lui ai pas caché.

Je sais qu’elle est parfaitement au courant de tout ça.

C., ma copine de Lyon, que j’ai couché pendant 4 ans avec, elle a jamais rien eu. Et j’espère qu’elle aura rien.

C’est pour ça que vous pensez que, coucher avec une femme quand on est séropositif, la femme ne risque rien ?

50 %.

Et, si je vous dis, que ce n’est pas vrai, que le risque est plus élevé, vous ne me croyez pas.

J’ai du mal à y croire parce que, C., elle a jamais rien eu. Les médecins, ils me l’auraient dit autrement. Et, avec C., je prenais pas de préservatifs.

50 %, ça fait une personne sur deux. Si C. n’est pas infectée, peut-être que B., qui est la deuxième personne …

Oui et non. C’est pas forcément la deuxième, ça peut-être la troisième, la quatrième … [silence]

Vous nous parlez un peu d’ATD–Quart Monde ?

ATD-Quart Monde, Aide à toute détresse. Je connais grâce à J. et je vais les voir 2/3 fois par semaine. Ca me fait du bien, ça m’occupe, parce que, quand ils ont des enveloppes à faire ou des tampons, je les aide. Et puis, ça me fait du bien parce qu’on rencontre souvent des familles qui sont plus pauvres que nous, enfin … pas plus pauvres … parce que d’être dans la rue, enfin, pratiquement dans la rue, il y a que nous.

Que vous ?

Oui.

Vous n’êtes pas à la rue.

Non, mais cela m’est déjà arrivé. Et ça peut arriver. [silence]

Vous, ici, on commence à vous connaître bien …

Même très bien.

… même très bien. On sait que, de temps en temps, vous êtes capable de devenir très violent.

Oui.

Alors, qu’est ce qui se passe dans ces moments là ?

Parce que je me rappelle de la vie que j’ai menée. Mais, c’est plutôt ma mère, parce que mon père, je l’ai pas pleuré. [silence]

Quand vous devenez violent, vous … comment cela se passe ?

Ben, déjà, dans l’attente de l’hôpital de Lyon, c’est pareil. A force d’attendre, d’attendre, les médecins, parce qu’ils vous convoquent à 9 heures et on passe à 11 heures½ , moi, ça m’énerve. Et puis, je suis descendu en bas, j’ai cassé un carreau.

Vous avez cassé un carreau.

Oui.

Vous cassez souvent des carreaux.

Ca dépend. Je préfère l’éviter. Mais, au 156 [un centre d’Accueil et d’Orientation à Nancy] aussi, j’en ai cassé des carreaux.

Et vous les cassez comment ?

A la main. Je mets un torchon et, puis, la main dedans.

Alors, le résultat, vous vous blessez et vous saignez.

Voilà. Parce que je préfère taper sur des carreaux que taper sur un mec.

Vous préférez vous faire mal à vous.

Oui. Parce que, sur un mec, j’ai jamais tapé dessus. J’ai pas envie de lui taper dessus. Parce que je sais pas jusqu’où ça irait. Je veux dire que je suis costaud costaud mais c’est les nerfs, quoi. Quand je suis dans un hôpital, tout seul dans une chambre, et puis que, la bouffe, on me la sert avec des cuillères en plastique, et puis d’être tout seul, sans fumer, sans rien, c’est énervant. [silence]

On avait dit qu’on ferait un entretien de 45 minutes, on a 50 minutes, alors, on va terminer, si vous le voulez bien. Vous pouvez nous dire vos projets, comment vous envisagez la suite ?

Et ben, la suite, c’est travailler un peu, reprendre l’habitude de travailler, trouver un truc pour faire partir le sida, un vaccin. Que je puisse reprendre au moins le boulot régulièrement. Mais, je souhaiterais à personne d’avoir cette maladie. Je voudrais pas que des personnes l’attrapent. Et ben, la-dessus, bon courage et à bientôt ! Non. Et puis, le 31 décembre, on passe à la radio, sur radio FaJet, ATD, pendant 45 minutes. Et puis, je vais essayer d’en parler un peu, à la radio. Je l’ai dit une fois, deux fois, mais ça suffit jamais.

??

Ben, d’être malade du sida, qu’est ce que ça fait. Mais je respecte tout le monde. Je reste bon ami même avec tout le monde même avec ceux qui …

Même avec ceux qui…

Ceux qui me font chier.

Ceux qui vous font chier.

Comme Yves LAMBERT. Non, allez.

Dites …on va finir là dessus.

Non, je sais bien, c’est ces histoires d’aller voir un médecin … un psychiatre. J’y ai été cette semaine.

Qu’est-ce qui se passe mal entre nous ?

Ben, c’est pour les prêts d’argent.

Les prêts d’argent.

[silence]

C’est un sujet délicat, l’argent, avec vous.

[André bénéficie d’une allocation adulte handicapé]

C’est important. Mais si je pouvais me trouver un petit boulot … 3/4 heures. Le plus facile, ici, c’est de venir boire un café.

Le plus facile, ici, c’est de venir boire un café.

Heureusement que vous êtes là quand même parce qu’il y a toujours besoin des associations comme Antigone. Comme je suis foutu dehors du 156, foutu dehors du Secours Catholique.

Comment vous êtes reçu ici ?

Toujours bien. Au moins, on m’offre le café.

OK. On arrête là. On va mettre tout ça sur papier le plus vite possible pour que vous puissiez le relire. Vous aurez une copie du texte. On va changer les noms, d’accord ?

C’est pas grave.

On va vous appeler monsieur je ne sais pas quoi.

Monsieur ROSSINOT. [Il rit, André ROSSINOT est Maire de Nancy]

Par exemple ! André ?

André.

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