Je
ne me souviens même pas de ma mère
Email
en pied de message
Décembre 2009
bonjour
à celles et à ceux qui de suite comprendront mon mail
quant aux autres bonjour également mais avec un "sens"
qui sera forcément autre
ce mail est adressé à celles et ceux qui sont peut être
actuellement au fin fond d'un canapé, d'une chaise, d'une tête
si pleine, d'une tête relativement bien faite au regard des "standards"
sociaux. A savoir : une famille, ou ce qu'il en reste et c'est là
l'essentiel, les enfants, qui ont un job (et vu la crise nous n'avons
guère à nous plaindre, économiquement parlant)
mais qui ont un lourd passif...
un lourd passif difficile à faire entendre car par définition
fait partie, pour le commun des mortels, du passé et qui vit
tant en nous et qui nous fait replonger bien malgré nous dans
une enfance qui, en termes d'années passées, est bien
révolue
mais dans nos têtes ? quand est-il ? qu'en est-il ?...
je m'appelle donc kangourou 73
kangourou, fruit du hasard mais finalement un hasard familial (mon frère
a ouvert par hasard le dico pour une boite mail pour moi voici 2 ans
et comme par hasard, je "choisis" ce même pseudo...
73, c'est simple, c'est mon année de naissance.
voici donc les présentations civiles faites, passons aux choses
sérieuses, moins conventionnelles et forcément, vu les
lecteurs, plus crues .
moi kangourou 73, abusée par mon père (sur lui et sur
mon petit frère par Mon intermédiaire), avant mes 11 ans
: fellations contraintes, photos porno de ma mère prises par
mon père qui meurt d'un cancer 1 an après soit il y a
25 ans... 25 ans ! aucun souvenir précis nombre de fois ? et
surtout autres souvenirs ???? de ma mère ? de mes 2 frères
? rien, rien de rien !! à ce jour j'ai (bientôt ) 37 ans
et je n'ai guère de souvenirs si ce n'ai 2 ou 3 concernant ces
relations incestueuses....
et aujourd'hui ? aujourd'hui l'ombre de la petite fille que j'étais
ne cesse de me poursuivre pour demander réparation ! alors tout
naturellement je lui dis : évidemment Tu as le droit à
une réparation et Je vais t'y aider ! mais la mémoire
de la petite fille devenue, pas trop bête, avec 2 super petits
garçons, mais seule car a décidé de se séparer,
la mémoire de la petite fille est défaillante dans le
cerveau de la femme devenue adulte...
j'ai fait appel voici à peine 10 ans à ma mère
pour qu'elle m'aide à recouvrer la mémoire, pas de réponse
j'ai fait appel à ma mère voici 1 mois pour qu'elle m'aide
de nouveau à recouvrer la mémoire ... toujours ps de réponse...
elle a subi la violence physique de mon père, elle était
adulte
j'ai subi la violence sexuelle de mon père, j'avais 10 ans et
demi
depuis pas moyen de retrouver des souvenirs autres que certains incestueux
si vous souffrez de cette amnésie traumatique mais amnésie
tout court également, merci de me répondre
si vous êtes de la Marne, j'aurais peut être la force de
vous rencontrer
merci
kangourou73
j'autorise
le destinataire à publier ce présent mail à défaut
d'être physiquement dans un groupe de paroles
bien cordialement
de nouveau
Kangourou 73
me voilà, un peu surprise à vrai dire, d'avoir envie d'écrire
encore et encore
longtemps, très longtemps j'ai cru, naïvement, que j'aurais
été capable de me débrouiller seule avec ce lourd
passif, de l'orgueil mal placé sans doute et peu salvateur finalement
j'ai besoin, après être passée devant des professionnels,
ou plus précisément en même temps, de partager mes
"troubles" avec des personnes qui, enfin et à la fois
malheureusement, me ressemblent
j'ai lu quelques témoignages de ce site si précieux, je
m'y suis trouvée, malheureusement "rassurée"
car pas la seule à se sentir coupable, sale, hors norme, paumée,
déséquilibrée, triste, d'une profonde tristesse
et d'une sensation de vide et d'une telle solitude...
nos proches font ce qu'ils peuvent, avec les moyens dont ils disposent
eux mêmes, avec leur propre vécu. ils sont parfois maladroits
ou fuyant, pour sauver leur propre peau...: comme si la fuite empêchait
le passé de resurgir bien malgré soi
je reste convaincue que la prise de conscience, aussi douloureuse soit-elle,
aussi difficile soit-elle, aussi destructrice puisse-t-elle être,
est bien moins dévastatrice que le refoulement conscient, inconscient
de l'impensable
et pourtant c'est difficile, douloureux, mais finalement quelque part
"maitrisé" alors que les conséquences d'un refoulement
vous tombent dessus sans prévenir...
alors je préfère, et de loin, ma situation, aussi difficile
soit-elle à vivre, que celle des "gens", des "proches"
qui gardent pour ligne de conduite la fuite
ce mail pour encourager à la parole des victimes d'inceste
ce mail pour crier contre l'injustice familiale
ce mail pour dire non vous n'êtes pas seule
ce mail pour me persuader que je ne suis finalement pas seule
ce mail pour dire : il n'est pas question après avoir été
abusée sexuellement, d'être abusée psychologiquement
et socialement
ce mail à tous ceux et à toutes celles qui traversent
des moments si difficiles, dont la tête risque d'exploser, dont
la bouche, le corps voudraient être arrachés, changés
ce mail pour celles et ceux qui, par erreur, préfèreraient
être amnésiques
Moi, Kangourou73 je dis, il n'est pas question d'oublier, il n'est pas
question d'amoindrir, il n'est pas question de pardonner
il est juste question de vivre, au mieux, avec
alors j'encourage les victimes d'inceste à parler, hurler s'il
le faut pour enfin se faire entendre
et, n'oublions pas il sera sans doute plus facile de se faire entendre
par la Société que par sa propre famille, c'est peut être
ça le plus difficile
se faire entendre de la société n'est pas emprunt d'affect,
d'amour
se faire entendre de sa propre famille c'est remettre en question quelque
part la capacité de ses membres à aimer l'un d'entre eux...
ce soir, je suis fatiguée, fatiguée de me battre contre
mes propres démons, mes peurs, mais rien, non rien ne m'empêchera
de poursuivre ma route aussi difficile et tortueuse fut-elle
lorsque je suis au travail, je passe pour quelqu'un de relativement
sûre de moi, avec des responsabilités, sachant assez bien
les assumer
lorsque je quitte le bureau, je redeviens cette petite fille "exposée",
peu sûre d'elle, fuyant (en ce moment en tout cas) tout contact
humain. je me sens alors si vulnérable, si vulnérable.
je ne me reconnais pas moi même, ou trop finalement
il n'y a en moi que des contradictions
il n'y a en moi que colère
et aucun moyen de demander réparation devant la tombe mortuaire
d'un père disparu quelques mois après ces "faits"
j'ai pensé, je pense détruire la tombe de mon père...
peu glorieux mais les codes sociaux, familiaux (plus encore depuis que
ma mère s'est plongée dans le catholicisme à corps
et à cri... silencieux), ces codes m'en interdisent. ce ne serait
guère "correct"
ce soir, comme de nombreux soirs, j'ai envie de hurler, d'arracher ma
tête ma bouche pour ne serait-ce un instant avoir l'esprit tranquille...
J'ai donc lu des témoignages, j'y revois mes traits de caractère
: agressivité, peur, insomnie, isolement, sentiment d'être
"à part"
j'ai lu et je me rends compte que je ne suis pas la seule...
bientôt le téléthon...à quand la journée
des victimes d'inceste !!! et qui oserait y venir, qui oserait montrer
son visage, commun finalement et en même temps si douloureux
le handicap physique se voit, le handicap affectif ne se voit que si
l'on prend le temps de s'y arrêter un instant...
j'ai encore plein de choses à dire
et pourtant, oralement je suis peu bavarde
j'ai encore plein de choses à dire mais les seules personnes
qui devraient être destinataires de ce message ne sont pas en
capacité d'écouter...la famille y'a rien de pire : amour
/ haine ; bonheur / souffrance
Mail long peut être, sans doute peu compréhensible
peut être m'aidera-t-il à mieux dormir ce soir...
mais je garde, quelque part, enfoui, de plus en plus enfoui..., l'espoir
qu'un jour je n'aurai plus à utiliser un mail anonyme
que chaque victime n'aura pas honte de "dévoiler" son
prénom, son visage, sans honte
alors la société et la famille auront progressé
en attendant ce sont aux victimes de progresser et de ne pas baisser
les bras alors je lève le bras bien haut et bien fort et je fais
la nique à ces bourreaux qui un jour auraient peut être
un jour pu, su, écrire ces mêmes mots...
kangourou73
j'autorise le site, s'il le trouve pertinent, de publier ce mail
merci
comme je
vous l'expliquais, un peu en vrac, dans mon 1er mail, j'ai été
victime d'inceste aux environs de mes 10/11 ans mon père est
décédé ensuite
un long silence s'en est suivi, car chacun dans la famille a connu des
douleurs par son fait
ce silence a été "brisé", par mon petit
frère d'abord (mais sans succès, depuis il s'est éloigné
et pas uniquement géographiquement de la famille)
silence brisé ensuite par moi même avec une quête
: comprendre et finalement rechercher peut être une explication
pour "atténuer" sa culpabilité ce serait tellement
plus supportable...
en réalité, je dois en faire le deuil, passer ma colère,
et ne pas lui trouver de circonstances atténuantes
cette conclusion, je l'ai fait ce jour (mon grand frère m'y a
aidée), une semaine après avoir "secoué"
ma mère qui a quasiment explosé de colère (malentendu,
et sa propre souffrance aussi)
ma quête désormais est de recouvrer la mémoire :
les seuls de mon enfance sont ces "épisodes" d'une
relation incestueuse avec mon père
je n'ai pas (ou si peu : 2 ou 3) de souvenirs. il s'agit d'un blocage
qui m'empêche d'avancer (et ça fait 25 ans... et ça
m'essouffle...)
mon grand frère l'a compris, il m'a déjà donné
1 souvenir (retour d'école primaire tous 2 main dans la main),
même après qu'il m'ait raconté cet épisode,
pas moyen pour moi de le visualiser, comme s'il parlait de qqu'un d'autre,
d'une étrangère. sentiment étrange pour moi...
quant à ma mère, je ne comprends pas forcément
mais elle me dit : tu les as en toi ces souvenirs, à toi de les
trouver. je lui demande des souvenirs (je l'ai fait en 2000 et je réitère
maintenant, ce doit être cyclique chez moi...), elle "résiste",
peut être a-t-elle besoin de temps ? elle était étonnée
de ce manque de mémoire et je crois l'avoir choquée lorsque
je lui ai dit que je ne me souvenais même pas d'elle (c'est à
ce moment là d'ailleurs qu'elle a "explosé").
je l'ai blessée, ce n'était pas mon but. je l'ai secouée,
ça c'était volontaire, je voulais qu'elle comprenne l'impact
de cette histoire sur ma vie. elle me dit "négative",
que je cherche à m'isoler (je me suis séparée de
mon compagnon et n'ai les enfants qu'une semaine sur 2). elle me dit
qu'il "faut" avancer. elle a raison, il faut se projeter,
mais ne faut-il pas d'abord régler certaines choses du passé
pour retrouver, trouver une sérénité. ma tête
et mon corps (car depuis peu j'ai compris aussi que cette histoire avait
eu un impact sur ma vie intime, même si jusque là je pensais
avoir fait la part des choses : en résumé, ma vie amoureuse
"physique" n'était pas si épanouie que ça,
je faisais plaisir et malgré moi pour certains gestes)
il y a bcp de choses dans ce mail...j'espère que vous vous y
retrouverez...
je m'arrête là, pour l'instant
kangourou73@laposte.net
Bonjour,
Cette difficulté à retrouver les souvenirs proviennent
d'un mécanisme de refoulement qui vise à déjouer
l'angoisse suscitée, chez la victime d'inceste, par le fait qu'elle
a le sentiment d'avoir connu une sexualité à laquelle
elle ne devait pas prétendre et d'avoir usurpé la place
de l'autre parent : en demandant à votre mère de prendre
la mesure de ce que vous avez subi, vous lui signifiez qu'elle a, elle-aussi,
un ordre à rétablir auquel elle n'a pas su veiller.
Car évidemment, dans une situation d'inceste, c'est l'enfant
victime qui perd tout : son père, sa mère, son désir
et sa place d'enfant.
De plus, il se sent coupable de cette déstructuration familiale
; alors, pas étonnant que vous revendiquiez le regard de votre
mère, lequel, il faut bien le dire, a été négligent.
Et vous avez absolument raison de vouloir l'obliger à prendre
en compte l'ensemble de la situation actuelle et ancienne.
Pour que vous puissiez avancer, comme elle le dit elle-même, vous
avez besoin qu'elle vous aide à reconstruire votre mémoire
afin de retrouver une identité.
Vous avez besoin qu'elle vous permette "d'assainir" votre
filiation car elle est partie prenante de cette filiation et ne peut
donc s'esquiver de la problématique qui vous est imposée.
Je vous écris cela car j'ai l'impression que votre maman n'a
pas vraiment envie de partager une quelconque "responsabilité"
dans votre histoire.
"A
ton âge, je ne peux te parler comme ma fille mais comme une femme
vu les évènements que tu m'as livrés" : votre
maman, qu'elle le veuille ou non, a été impliquée
dans une dynamique familiale incestueuse et son discours est très
ambivalent car elle semble vouloir oublier que vous étiez sa
fille et une enfant quand vous avez été victime d'inceste
; c'est un peu trop vite passer sur le rôle de la mère
dans la situation incestueuse et, comme vous le dites, elle cherche
à vous mettre sur un pied d'égalité avec elle ;
or, ce n'est pas possible puisqu'en faisant ainsi elle nie le "fossé"
des générations, qui fait le lit de l'inceste.
La vérité, c'est que votre maman s'est réfugiée
dans une surdité sélective à l'égard des
messages dont elle aurait pu prendre conscience, si elle n'avait pas
choisi d'être "submergée" par des "problèmes"
auxquels elle donnait la priorité.
Elle continue d'ailleurs sur le même mode puisqu'aujourd'hui elle
s'est réfugiée dans la religion.
Ce n'est pas anodin comme choix !
Alors d'accord, sans doute qu'à l'époque elle était
préoccupée par des soucis qui l'empêchaient d'avoir
un recul suffisant par rapport à la situation abusive mais c'est
troublant qu'elle continue encore aujourd'hui à ne pas vouloir
vraiment entendre ce que vous lui demandez et à plus ou moins
contourner la situation.
Essayez de lui faire prendre conscience qu'elle utilise toujours le
même mécanisme de défense : elle semble être
happée par ce qui est "loin" (son travail, la religion)
plutôt que d'être happée par ce qui se passe sous
ses yeux.
Et puis vous parlez judicieusement de "force supérieure"
en relation avec la foi de votre mère : en effet et il s'agit
bien pour elle, d'une certaine façon, de se dé-responsabiliser
en fuyant les réalités terrestres les plus proches.
"La capacité d'une mère d'être lucide dépend
en grande partie de la gravité de sa propre histoire traumatique"
: vous m'avez parlé de l'enfance de votre père mais qu'en
est-il de celle de votre mère ?
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil
|