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Message ou FAQ

 

Il me reste 6 mois pour porter plainte

Email en pied de message.
Septembre 2003

Me voilà saisie d'une tension de vie et me voilà me confiant. J'ai été violée il y dix ans par un "ami" et je suis morte ce jour là. L'amour ne peut suffire à me sauver de moi-même et j'ai pris conscience depuis peu qu'il ne tient qu'à moi de ne plus connaître cette dichotomie intérieure, ce dégoût de soi et de son corps, la peur de tout contact physique, le délabrement physique pour se punir d'avoir été belle et d'avoir attiré les regards.

Dix longues années de déni et d'oubli de soi-même pour arriver à vivre en essayant de refouler l'horreur, dix longues années d'isolement à osciller entre dépression et incurable optimisme dans la nature humaine.

Merci simplement d'exister pour que je puisse jeter tout cela sur le papier (!) juste une fois moi qui me voyais si bien écrivain. Tous mes rêves partis en fumée et ne me laissant que cette étrangère en dedans. Je suis perdue, je m'abîme dans la réflexion : cet abus a forcément eu toutes une série de conséquences que je n'ai pas pu maîtriser ou dont je n'avais même pas conscience (malgré la folie rassurante à se l'imaginer), il a nécessairement influé sur mes choix de vie donc malgré tout ce que j'ai pu vouloir croire, je ne suis toujours pas libre et ces "choix" que je crois faire ne sont pas les miens...

Malgré cet horrible événement j'ai eu beaucoup de chance; j'ai rencontré des êtres formidables et j'ai vécu des moments inoubliables alors après toutes ces années où je me suis épuisée à oublier, à faire comme si de rien n'était, à accumuler diplômes pour mieux me considérer comme un pur esprit ("je ne suis pas mon corps"), je n'ai pas le droit d'abandonner. Mais je n'ai pas toujours cette force; parfois tout cela me coûte tellement que je n'arrive plus à tenir le contrôle et je me jetterais bien sous le train. J'aime penser à mourir, cela m'apaise, je me dis que si cela tourne mal j'ai toujours cette solution et surtout il m'est plaisant de penser que je la contrôle au moins cela.Parfois j'ai l'impression que tout m'est indifférent et cela me fait peur de me rendre compte que je ne suis une viande morte et qu'il m'importe peu de mourir alors que je rentre chez moi le soir en disant à mon amour "je t'aime, tu m'as manqué". J'ai l'impression que tout est fondé sur ce menso nge : je suis morte mais je fais semblant de continuer à vivre et surtout à mon tour je les abuse tous.

Je sais bien que je ne peux pas m'en sortir seule et qu'il me faut trouver un thérapeute, que je ne peux impliquer les gens qui m'aiment mais seulement les laisser m'accompagner. Il faut que tout cela soit nommé, reconnu et qu'à mon tour je sois reconnue comme une victme pour redevenir une personne mais j'oscille toujours entre le refoulement et la dépression.Je peine à trouver ce courage. Une fois je suis entrée dans une maison de la justice pour les droits des femmes et j'ai demandé s'ils ne disposaient pas de contacts de thérapeutes, femmes et spécialisées dans le viol, mais on m'a opposé une fin de non-recevoir sans plus s'occuper de moi et j'ai été forcée de partir alors que j'étais venue pour la première fois chercher un soutien extérieur et cela m'avait coûté d'entrer devant tout le monde.

J'ai trouvé votre site suite à une affaire de viol relatée dans la presse. Evidemment, j'ai lu. Je sais tout cela mais je reste comme paralysée.Ce qui m'a fait vous écrire c'est la mention de l'intérêt thérapeutique à poursuivre judiciairement le violeur. J'aurais 28 ans dans six mois et je ne suis jamais allée voir un thérapeute, et si le temps que j'accomplisse tout cela, le temps me fasse défaut? Est-ce vraiment indispensable? Je suis partagée: d'une part, je me dis que l'affaire est si ancienne et l'abuseur on ne sait où qu'il n'y a aucun intérêt puis je me dis que c'est une manifestation de mon déni et d'autre part si le faire c'est d'abord pour me le faire reconnaître à moi (me responsabiliser pour me rendre les attributs de la dignité humaine) c'est sûr alors, il y a urgence à agir vu le délai.Mais comme je suis juriste et que je sais bien qu'il m'est facile de consulter un ouvrage pour vérifier le point de départ du délai de prescription je sais aussi que ce message est une bouteille à la mer.

Je vous autorise à publier mon témoignage anonyme.

patatietpatataforever@hotmail.com

Bonjour,
Oui, il y a un intérêt thérapeutique non seulement à poursuivre l'agresseur mais aussi, bien sûr ! à le voir condamner. Ainsi, c'est la société toute entière, représentée par la cour, qui juge et sanctionne, et reconnaît à la victime son statut de victime.
Il y a un autre intérêt à poursuivre : il est exceptionnel que les agresseurs sexuels n'aient agressé qu'une seule fois et il n'est pas rare de voir des victimes se signaler une fois que des poursuites ont été engagées par l'une d'entre elles ...
Dans le même temps, cet "intérêt thérapeutique" est à peser : une procédure est longue et douloureuse, et, dans le cadre de l'instruction à charge et à décharge, la victime a parfois le sentiment que sa parole est mise en doute, sans compter les expertises psys auquels elle doit se plier ...
Pour finir avec l'intérêt thérapeutique de poursuites pénales, il ne doit pas être confondu avec l'intérêt d'une démarche de nature psychothérapeutique, seule capable de permettre à une victime de retrouver une harmonie ...
Je vous conseille de lire ces deux pages du site d'Alixe Loane : http://alixe.loane.net/questions.htm#psy et http://alixe.loane.net/psys.htm
Cordialement,
Yves LAMBERT

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