[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @

Message ou FAQ

 

J'ai peur du syndrome de Diogène

Email en pied de message
Février 2010

Bonjour à toutes et tous,
J'ai lu avec empathie plusieurs témoignages de votre site et vous remercie d'avoir créé ce territoire d'authenticité.  Je ne sais plus où chercher une solution, un moyen, une aide pour dépasser les manifestations de mes problèmes et je refuse de mourir sans avoir vécu.  
J'ai conscience que mes problèmes sont atypiques en regard des drames d'abus féminins principalement évoqués, mais la souffrance est la souffrance, et ne peut être mesurée sur une échelle de valeur en fonction de son origine.  
J'ai 58 ans et suis dans l'autodérision, pas dans le misérabilisme, aussi, rappelez-vous simplement ou imaginez une autre époque sociale, morale et économique, avant mai 68, c'est le contexte de mon vécu :
J'ai passé ma prime enfance dans les bras et le cœur de mon arrière grand-tante (Mémère) et été arrachée de son jardin d'Eden à l'âge d'environ quatre ans pour être précipitée dans un enfer de violence. Un enfer d'incompréhension. Ce n'est qu'à l'âge de 18 ans que j'ai appris mon histoire : abandonnée à quelques mois par ma mère et pas de père connu. Confiée par l'AP à mon arrière grand-tante. Ceux que, à partir de quatre ans, j'ai appelé maman et papa, sœurs (8) frères (2) cousins (2)  étaient en réalité mes grand-mère et grand-père, mère, sept tantes, deux oncles et deux demi-frères. Coupée de l'amour de Mémère et "coupable de son abandon", de quatre à 18 ans, j'ai vécu les coups, les humiliations physiques et  psychologiques de ma grand-mère-mère et l'abandon affectif et protecteur total de tous. J'ai subi une tentative de destruction systématique de ma personnalité par sa manipulation émotionnelle et culpabilisatrice, destructrice de mon identité, de ma confiance en moi et en mes capacités. J'ai vécu mon enfance et ma jeunesse avec la peur et le désir de mourir. Mais, la violence a été trop... violente pour être crédible, elle a dépassé ses buts d'annihilation, car tout en l'ayant oubliée, grâce au viatique d'amour de la Mémère de mes premières années, au fond de moi je savais qu'il existait autre chose que l'horreur et la haine. J'ai quitté ma famille à 18 ans, rencontré un homme, et j'ai fait une dépression (quatre ans à dormir, à osciller entre dynamisme et impuissance). Malgré la mouvance de l'époque, je n'ai pas été soignée et ne suis "sortie" de ma bulle hors du temps qu'à la naissance de mon fils à l'âge de 22 ans.  
Depuis presque 40 ans j'ai entrepris seule un travail sur moi-même et lutte pied à pied pour me reconstruire, pour être enfin qui je suis. J'ai élevé seule mon fils et j'en suis fière aujourd'hui. J'ai réussi une carrière professionnelle satisfaisante en regard de mon ambition et du point de départ zéro, mais pas en regard de ma réalisation personnelle. J'ai raté totalement ma vie affective (par peur). La vie est chevillée à mon corps et à mon âme et je l'aime sans restriction. J'ai entrepris tout ce que je pouvais pour moi sur le plan émotionnel et j'ai trouvé une certaine sérénité, ne suis plus en guerre contre moi-même, n'ai plus de blessures béantes, juste des cicatrices parfois sensibles. Je me sens émotionnellement et intellectuellement en équilibre assez stable. Mais... bien sûr mais... il me reste une résistance importante, un noyau de souffrance dont je n'arrive pas à sortir et qui prend de l'ampleur. Un nœud à dénouer.
Je me suis abandonnée corporellement. J'ai trouvé récemment le mot de l’état psychologique correspondant : incurie. Dès l'enfance j'ai fait de la résistance aux ordres et à la violence de ma G.-mère-mère. Je n'avais le droit de dire non à rien et le seul espace où je pouvais "faire NON" était dans la salle de bains. Je faisais du bruit avec l’eau, mouillais la serviette et je déployais des trésors de roublardise pour faire semblant de m'être lavée... sans me mouiller. J'avais honte de ne pas être propre et de tricher, mais je gagnais la guerre aussi, c'était ma façon que j'avais d'échapper à son contrôle. J'acquerrais une petite parcelle de maîtrise sur ma vie, je revendiquais mon corps qu'elle frappait au travers de mon refus à le laver. Je faisais également de la résistance passive pour toutes les tâches ménagères en planquant la poussière dans les coins, en déplaçant les objets. J'étais très inventive.    
Sans m'en rendre compte, je me suis enfermée dans ce schéma, j'ai vécu les 40 années suivantes à tricher avec moi-même comme je trichais avec Elle. Mais je n'ai plus gagné, j'ai au contraire perdu ma fierté, mon assurance, mon respect de moi, la hardiesse de l'amour, la convivialité. Aujourd’hui je fais le constat douloureux que je suis submergée, que la balance s'est infléchie au delà du contrôle : je ne me suis pas lavée depuis... longtemps, sauf ce qui se voit évidemment et j'évite de sentir mauvais aussi. Mon appartement est mouvant de poussière, les poubelles s'accumulent, je fais rarement des lessives, j'achète et suis donc envahie par les fringues propres et sales. Je cache ma honte derrière ma porte fermée, je vis sans lumière pour ne pas être vue et voir mon bordel. Je ne fais pas ce qui est bien pour moi, je ne me soigne pas, ne me protège pas, ne m’accorde pas les soins dont j'ai besoin et que j’aurai le droit de m’accorder aujourd’hui si je m'aimais. J'aime la propreté et me sentir propre. Je hais mon incurie, mais je poursuis ma résistance sans réussir à lâcher prise. J'ai peur de ne plus contrôler du tout, j'ai peur du syndrome de Diogène et je souffre.
   
Bonjour,
Votre parole est forte tout autant que votre révolte mais aussi votre résistance.
Le mot "incurie" ne vous correspond pas tout à fait, à mon avis, car ce manque de soin et d'organisation n'est pas chez vous le reflet d'une certaine négligence insouciante mais traduit plutôt une ferme volonté à manifester votre désapprobation envers le "système" familial que vous avez subi et aussi envers vous-même.
Le mot "désapprobation" est faible !
Cependant, cette "désapprobation" se manifeste sous la forme d'une profonde révolte sourde qui gronde en vous mais ne se dit pas à l'extérieur (vous prenez soin de ménager les apparences et vous avez parfaitement intégré une vie sociale par votre travail).
Effectivement, c'est votre propre "incurie" que vous organisez, celle de votre être : en empilant comme pour un "mille-feuille" les traumas jamais vraiment soignés (vous parlez de cicatrices mais, à mon avis, elles suintent encore).
Vous collectionnez les cicatrices mal soignées :
**UN COLLECTIONNISME SINGULIER : LE SYNDROME DE DIOGENE**
C'est seulement ce qui vous rapproche de cette pathologie qui vous fait si peur : l'accumulation des maux (sans les mots).
Je mets entre parenthèses car c'est un peu facile comme expression...
Sachez que les malades du syndrome de Diogene refuse toute aide, toute compréhension, voire "réflexion" : ce n'est pas vous !
Voulez vous continuer à écrire ? Voulez vous être publiée avec une adresse anonyme pour communiquer avec d'autres?
J'attends de vos nouvelles.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil

Bonsoir Chantal,
Merci pour votre réponse et surtout pour sa promptitude, cela m’a tellement touché que j’ai mis trois heures de jeux crétins et compulsifs (Tetris) avant de réussir à avoir suffisamment de distance pour vous répondre à mon tour… Je me sens vulnérable et fragilisée devant les marques d’intérêt et de compréhension à mon endroit ; je suis bien sûre bien plus à l’aise avec le rejet et l’agression.
Je n’ai pas de réelle connaissance des manifestations de l’incurie et mes symptômes ne sont effectivement ni désorganisés, ni insouciants ;  je me décrirais plutôt par les mots fondamentalement contraires, je dois donc  rejoindre votre avis... Dommage, une étiquette donne le confort de la normalité.
Vous avez également raison quand à ma révolte grondante et son manque d’expression extérieure. Pour beaucoup de gens, l’enfant en soi est une vue de l’esprit, un truc de fofolle illuminée ; mais en moi l’enfant parle toujours, pleure encore l’injustice et la détresse de l’abandon.  Mon sentiment dominant, lorsque je discute avec moi pour tenter de me convaincre de faire quelque chose qui ressemble à une prise en charge dont le résultat me comblerais de satisfaction, est totalement enfantin, genre… « Non, je ne veux pas, ce n’est pas juste, je suis trop petite pour faire ça toute seule… » C’est d’autant plus pathétique que de l’extérieure je suis vue comme une femme forte, indépendante et autonome, avec un sens des responsabilités surdimensionné.  Je vis avec le sentiment d’être un imposteur et l’angoisse d’être découverte.
Vous m’avez fait sourire aussi… collectionneuse de maux ! C’est facile oui, mais ça ne fait pas de mal et c’est parlant. Je ne collectionne que les maux de l’âme, c’est drôle, mais il m’était interdit d’être malade et je ne le suis qu’exceptionnellement (j’ai eu les maladies d’enfance… avec mon fils). Je n’arrive pas à accepter de l’aide matérielle, de faire entrer quelqu’un chez moi pour nettoyer… trop honte. Mais je suis quand même d’accord avec vous… alors que me reste-t-il ? Où chercher ?
Une chose m’a interpellée et est restée comme une écharde dans ce que j’ai écrit hier « faire NON ». Je ne devais pas exister, avoir de besoins, de désirs. Je devais me faire oublier, être invisible, tant par ordre que par instinct de survie. Je n’avais pas le droit de parler sans que l’on me pose une question. Mon enfance était un interdit d’action presque absolu dont toute transgression me mettait en danger, aucun droit, seulement l’obligation d’obéir. Je vivais la liberté dans ma tête, en solitaire dans une famille nombreuse, sans autre  espoir que celui de « quand je serais grande ». Et je crois que je n’ai pas grandi. J’ai lu il y a quelques années dans « l’éloge de la fuite » ou bien peut être dans « inhibition de l’action » de H. Laborit, les expériences faites sur l’instinct naturel des rats à fuir en cas de danger et l’inhibition de cet instinct par des secousses électriques. J’ai fait une parallèle l’expérience de ces rongeurs : mon besoin de bien-être est vivant, présent tous les jours, mais je résiste par la peur (conditionnement) qui me paralyse.
Oui, j’aimerai continuer à écrire et oui je veux bien être publiée, prendre le risque d’allumer la lumière.
Merci
Cordialement
Acteemay@gmail.com

Bonjour,
Bien sûr, vous comprenez la portée symbolique de votre comportement et c'est peut-être le désordre de votre monde interne que vous mettez en évidence par le désordre de votre logement.
Quand j'écris que c'est votre propre "incurie" que vous organisez et que vous ne donnez pas tout à fait à voir (puisque vous cachez votre désordre), c'est vous que vous projetez, c'est la petite fille qui n'avait pas droit à l'existence, à la parole, qui parle bien maladroitement en s'affirmant une existence par ce qu'elle accumule.
C'est sa révolte contre ce "non".
L'accumulation devient preuve de présence, preuve d'existence.
En même temps, cela vous terrifie.
Parce que cela vous ramène inévitablement aux peurs archaïques de votre enfance quand notre monde interne (j'insiste bien sur le "nôtre" car ce n'est pas seulement le vôtre) est encore peuplé de fantasmes empreints d'une certaine agressivité (selon la théorie de Mélanie Klein) et qui chez vous n'a pas eu le secours des relations "objectales" constructives parce que vous étiez déniée dans votre existence.
C'est ce "sinistre"-là qui s'étale dans votre logement : le déni de votre être.
A vrai dire, je trouve que vous vous en sortez plutôt bien car vous auriez pu tout simplement garder cette part de "sinistre", qu'on vous a infligée, en vous et vous avez eu le courage de la jeter hors de vous sans savoir quoi en faire, c'est vrai.
Le monde interne selon Mélanie Klein : "il est composé d'un nombre infini d'objets absorbés par le Moi, qui correspondent en partie aux multiples aspects, "bons" et "mauvais", sous lesquels les parents sont apparus à l'esprit inconscient de l'enfant au cours des différentes étapes de son développement... Tous ces objets se trouvent , dans le monde interne, en relation infiniment complexe à la fois entre eux-même et avec le sujet".
Il va vous falloir ramasser tout ce que vous avez jeté et effectuer un tri !
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil

Bonjour,
Bien sûr, je comprends la portée symbolique de mon comportement. J’en suis arrivée à cette conclusion depuis des années et je suis convaincue que mon environnement est l’expression matérielle du bordel qui règne dans ma tête. Et pourtant j’essaie depuis des années d’y faire le ménage, tout est bien rangé, insensibilisé dans des paquets étiquetés… En fait vous avez entièrement raison, je ne range pas vraiment, j’entasse. Parce que ranger implique de jeter, donc de lâcher prise !… alors que moi j’organise les strates du « mille-feuille ».  Je thésaurise mes blessures, comme un animal ; que je lèche les plus douloureuses et que de cette façon je les entretiens. Je dis souvent que j’ai l’instinct d’un écureuil… j’entasse mes noisettes dans mon nid, je fais mes réserves dans mon lit et je passe ma vie à surveiller qu’elles ne disparaissent pas. Beurk ! Depuis le temps elles sont périmées, du pur poison auquel je m’accroche.
Je suis confuse dans la chronologie des événements de mon enfance (par exemple j’ai été convaincue pendant des années que j’avais perdu mon Gd-père-père lorsque j’avais quinze ans, mais son acte de décès m’a révélé que j’en avais dix sept passé) et des trous dans mes souvenirs… entre-autres, je ne sais pas comment j’ai vécu entre quinze et dix sept ! Comment identifier les objets ? Trier et jeter ? Lâcher prise ?  Est-ce encore possible ?
A propos de la révolte qui m’agit, je me souviens que ma résistance passive s’est muée en une sorte de résistance « passive-active » (est-ce que ça existe ?) ais-je ingéré son NON et l’ai fait mien ? Je ne pouvais baisser les yeux sous ses coups et je la provoquais jusqu’à ce qu’elle perde son contrôle, alors je gagnais chaque fois qu’elle me laissait sur le carreau. Comment ais-je pu devenir ma propre marâtre ? Perversion.
Durant presque deux ans, j’ai fait un travail sur moi-même par l’écriture « émotionnelle ». j’ai donné la parole à l’enfant. Je me suis poussée à l’extrême de mes limites, sans complaisance. Jusqu’à ce que je consulte un médecin pour des crises terriblement douloureuses au niveau du plexus – spasmes du péritoine. Ce vieux médecin, qui se réorientait vers la psychiatrie (ironie du hasard) m’a expliqué qu’il n’y avait pas grand-chose de plus dangereux que de travailler seule (j’y ai d’ailleurs laissé ma vésicule pleine de colère). Après l’opération, je n’ai pas réussi à reprendre, j’ai eu peur de me faire plus de mal encore.  
Je sens une telle énergie bridée en moi ; le besoin énorme de choses que je n’ai pas réalisées et je ne peux accepter de disparaître sans avoir tout essayé pour « vivre » ma vie et pas seulement la fantasmer.
De ne pas avoir à expliquer pour que vous compreniez. Ne plus me débattre seule  m’apporte un réel soulagement. Votre parole vraie est une lueur d’espoir d’un possible.
Merci.
Acteemay@gmail.com

[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @