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Message ou FAQ

 

Mon amie a été violée

Email en pied de message
Mars 2009

Bonjour. Ravi d'avoir la possibilité d'utiliser le service que vous rendez, c'est extrêmement utile et important. Je me prénomme Noël, j'ai 35 ans et j'habite à Paris. Je viens de rencontrer une très jolie femme de 37 ans dont je suis tombé amoureux et avec qui je passe de très bons moments depuis maintenant plus de deux mois. Tout semble propice pour qu'une relation durable et de qualité se mette en place, sans précipitations toutefois. Il y a pourtant un sujet qui me préoccupe, plus pour elle que pour moi ou pour nous pour l'instant, et qu'il me semble nécessaire d'évoquer pour ne pas faire évoluer cette relation dans le mauvais sens. Au tout début de notre relation, mon amie a évoqué très succintement et avec une facilité rassurante quant à son état psychique, un viol subi alors qu'elle avait 15 ans, dans son lycée, et m'a expliqué qu'à l'époque, sa mère, en accord avec le proviseur du lycée, avait décidé de ne pas porter l'affaire devant les tribunaux, de déplacer sa fille
vers un autre établissement scolaire et de ne pas en parler au père de mon amie. Fin de l'histoire pour tous, sauf pour mon amie qui entame à ce moment là une période de sa vie très compliquée, faite d'abandon scolaire, de fuite à l'étranger et d'instabilité professionnelle.
Toujours est-il que 22 ans ont passé et le père de mon amie n'est toujours pas au courant, une de ses deux soeurs non plus. Elle m'a expliqué avoir fait "la paix" avec sa mère, ce que j'ai accueilli comme une forme de pardon auprès d'elle alors qu'elle n'avait apparemment pas les meilleures relations avec sa maman jusque-là. Ces dernières années, mon amie a fini par trouver un rythme de vie qui lui convenait, fait d'un travail saisonnier qui lui laisse le temps de vivre sa passion pour les voyages et de passer beaucoup de temps avec ses amis et sa famille, et maintenant avec moi. J'avais
quand même à l'esprit cet événement, pas tout à fait persuadé qu'il était devenu anodin, ce que j'ai effectivement pu constater hier soir.
Alors que nous avions entamé une discussion sur un sujet qui reviens souvent et qu'elle apprecie d'aborder car elle sait qu'elle en a besoin, je veux parler de sa très grande "fermeté" à l'égard de la
gente masculine qui lui est inconnue, elle a fondu en larme, aidée par la fatigue accumulée de ces deux derniers jours assez chargés. Les raisons de ces larmes sont nombreuses : elle sait que son agressivité est liée à cette histoire ancienne de viol et qu'elle est très offensive à priori quand elle doit aller au devant des hommes pour être sûre de ne pas être dominée, et elle n'aime pas me voir constater cela, elle souhaite apparemment être irréprochable auprès de moi. De plus, elle savait avoir minimisé l'impact du viol sur sa vie quand nous en avions parlé la première fois. Elle avait l'impression de me mentir, du coup, elle s'est ouverte un peu plus, en m'expliquant qu'elle a parfois des crises de larmes à cause de ce sujet, que son agresseur de l'époque habite toujours non loin de la maison de ses parents, qu'elle l'a croisé pour la dernière fois il y a 5 ans... Bref, que tout ceci est un peu trop vivant à mon sens pour être bien digéré aujourd'hui. J'ai envie d'agir pour améliorer la situation, la sienne et donc la notre, mais je suis aussi prêt à entendre qu'il n'y a rien de mieux que notre amour et l'existence commune que nous pouvons créer pour faire tarir la douleur de cet événement de toute les façons inéffacable. Par ailleurs, je trouve mon amie très épanouie, sentimentalement, socialement et sexuellement, très équilibrée, réfléchie, attentive, très indépendante et sûre d'elle, tout du moins quand elle se sent dans un environnement connu et rassurant. Elle a bien tenté ces dernières années de trouver un partenaire stable mais elle est tombée deux fois sur des hommes séduisants mais profiteurs. Je pense qu'elle manquait encore un peu de
confiance en elle. Elle n'a pas d'enfants, elle souhaite en avoir, nous en parlons, cette perspective me plait, mais il est encore tôt pour en décider.
Voici en bref la situation dans laquelle je souhaite donc trouver la meilleure position, les meilleures actions à engager ou à provoquer. Ma première réaction a été de maudire ce jour ou sa mère a décidé de transformer ce drame en un long silence et finalement même en secret de famille. La seconde, de vouloir faire en sorte que mon amie porte plainte, même aujourd'hui, pour qu'elle soit reconnue comme victime (hier soir encore, elle avait un doute quand à savoir ce qu'elle avait
pu faire pour provoquer ce viol, et se sent en quelques sortes responsable), et pour que, peut-être, son agresseur finisse par demander pardon, ce qui lui permettrait éventuellement de pardonner et
d'oublier un peu plus cette histoire. Mais les conséquences d'un tel coup de pied dans la fourmilière ne sont-elles pas dans ce cas potentiellement plus dévastatrices que constructives ?
Merci de me diriger. J'ai du temps, un peu d'argent et beaucoup de volonté pour lui venir en aide, elle le mérite, comme beaucoup d'autres personnes qui ont vécu ce genre de traumatisme.
Respectueusement.

Bonjour
Un trauma est un évènement violent qui peut menacer un équilibre individuel et produire un traumatisme : le traumatisme est la conséquence du trauma et le devenir du traumatisme s'inscrit dans la durée d'une vie car un trauma d'une telle violence ne s'oublie jamais ; souvent naît ce qu'on appelle une personnalité traumatique, c'est à dire qu'il ne s'agit pas d'une personnalité constitutionnelle mais le résultat de la mise en place de mécanismes de défense du sujet pour éviter, par exemple, l'apparition du syndrôme de répétition ; ainsi, le sujet peut-il être en état d'alerte et voir certaines de ses fonctions plus ou moins bloquées (fonctions de l'affection entre autres) avec parfois conduites d'évitement, phobies, etc.
Il semblerait que "l'agressivité" de votre amie, ou peut-être plutôt sa méfiance à l'égard de la gente masculine, soit issue de son vécu traumatique mais, d'après ce que vous écrivez, il paraîtrait que cette personne ait relativement bien réussi à élaborer et intégrer ce traumatisme dans sa personnalité ; reste que subsistent toujours les traces mnésiques, lesquelles peuvent être réinvesties à la faveur d'évènements angoissants même sans commune mesure avec ceux du passé, ce qui peut déclencher des crises d'effroi, surtout quand il est question de retour sur ce passé avec une réalité présente : ainsi, la rencontre possible avec son agresseur, puisque celui-ci vit toujours près de ses parents...
Cette situation ambivalente oblige malheureusement votre amie à effectuer une sorte de déni psychologique : en se rendant chez ses parents, elle doit bien sûr affronter une position invraisemblable et faire comme si "rien ne s'était passé" puisque ce monsieur continue de ne pas être inquiété malgré l'horreur de ce qu'il a commis.
Il est certain que l'attitude de sa mère et du proviseur ne lui a pas rendu service et qu'elle a été obligée, en plus de subir le viol, de supporter le poids du secret décidé par d'autres.
Autrement dit, elle a été par deux fois, niée dans son être.
Le risque est que votre amie fasse semblant d'aller bien.
Va-t-elle si bien qu'elle le paraît ?
Vous ne la connaissez que depuis 2 mois et peut-être qu'un jour vous vous apercevrez qu'elle a effectivement besoin de crier la vérité mais ne sera-t-il pas alors trop tard pour porter plainte ? Nous conseillons souvent de rompre le silence et surtout quand il permet à une situation "malsaine" de s'installer.
Les voyages de votre amie ne sont-ils pas destinés à l'emmener loin de cette réalité ambivalente ?
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil

Bonjour et merci pour votre aide.
Comme vous le mettez si bien en évidence, le comportement traumatique semble effectivement exister. Il se manifeste peu, voire pas du tout dans l'intimité, mais beaucoup plus en société et notamment dans des situations ou des lieux non connus par mon amie. Je la sens parfois tendue dans ces moments et je sais qu'elle fait un gros effort de contrôle sur elle-même. Mais pour l'instant, il n'y a rien à signaler de particulièrement gênant et le simple fait de lui faire remarquer la chose l'aide à se rassurer et à s'apaiser. Pour moi, elle va vraiment bien, mais je peux raisonnablement penser que mon arrivée dans sa vie y est pour quelque chose, et ce n'est pas tout à fait une bonne nouvelle. Je veux dire par là que si je suis trop indispensable à son équilibre, et si cela persiste, je risque de porter un peu trop le couple sur les épaules, cela peut-être au dépend de notre qualité de vie. Moi-même, je sors d'une relation où ma conjointe s'était tellement appuyé sur ma présence, sur mon être, que je n'ai plus supporté ma situation et ai du rompre avec celle-ci. Et je ne souhaite pas reproduire cet écueil, évidemment. Elle va vraiment bien, donc, mais, comme vous le dites, le besoin d'extérioriser le trauma peut arriver à tout moment, et peut même être nécessaire pour avancer dans notre couple, par exemple éventuellement lorsqu'il s'agira d'avoir un enfant, ou bien simplement au quotidien, si elle parvient à juguler tout les comportements traumatiques qu'elle peut avoir, chose qu'elle souhaite et sur laquelle elle travaille. Dans ce cas en effet, quel effet cela pourra-t-il avoir sur son équilibre ? N'ayant plus cette compensation pour exprimer son malaise, celui-ci devrait trouver un autre vecteur pour s'épancher, mais lequel ? Son récent désir de fonder un foyer peut-il absorber tout ce mal, et est-ce sain ? Ou faut-il absolument crever l'abcès pour espérer réussir tout projet éventuel ? Jusqu'ici, sa grande mobilité, très certainement liée à son trauma, lui était nécessaire pour fonctionner. Elle a déjà réussi à se priver de cette béquille. Tout ceci est encourageant, mais la progression peut-elle continuer sans "coming out" ?
Dans le cas où cette dernière option serait choisie, quelle doit être la marche à suivre, sachant qu'il y a prescription, j'imagine, qu'il n'y a aucune preuve matérielle, que les témoins vont être difficiles à trouver... A qui s'adresser en premier lieu ?
S'il faut au contraire se donner un temps d'observation, quels sont les signes à retenir pour évaluer l'évolution de la situation?
Merci de votre aide pour la suite.
Au plaisir de vous lire.
Cordialement.

Bonjour,
Plus que la question du "coming out", celle de la mesure du véritable état psychique de votre amie, est primordiale ; en effet, celle-ci peut tout à fait "naviguer" dans cette situation ambivalente (le déni familial amène souvent une forme de déni personnel plus ou moins bien évaluable) jusqu'à un certain point et pendant un certain temps mais personne ne peut prédire, justement, ce qu'il adviendra ou pas ensuite.
Comme vous le dites vous-même, il est toujours possible que "le besoin d'extérioriser le trauma" se fasse sentir.
En tout cas, "fonder un foyer" n'absorbera pas tout ce mal mais l'aidera peut-être.
Après un tel évènement traumatique (dont il reste cependant à mesurer l'ampleur des conséquences car il n'est pas exclu que votre amie gère au mieux sa situation), on ne peut guère parler en termes de "réussite" sans faille mais tout projet n'est-il pas soumis à un certain degré de risque ?
C'est pourquoi, il me semble que vous devriez lui faire confiance et vous faire confiance, si vous souhaitez faire du chemin avec elle.
Je vous propose aussi la lecture de cette page (la mémoire traumatique notamment) dont vous devez prendre connaissance avec une certaine distance :
* http://www.sosfemmes.com/violences/violences_psychotrauma.htm
J'aimerais publier votre réflexion et peut-être, recevrez vous ainsi, des témoignages de personnes ayant vécu le problème que vous posez ; me le permettez vous ? Ne voudriez vous pas alors, utiliser une autre adresse, afin de conserver tout votre anonymat ?
* http://www.sosfemmes.com/faq/email_anonyme.htm
Cordialement,
Chantal POIGNANT

Bonjour et merci pour votre réponse.
Bien, je lis dans votre réponse, et je trouve cela tout à fait normal, que la solution à ma question se trouve en moi, ou plutôt, en moi et en mon amie. Je pense donc que la première chose à faire est d'en parler entre nous et d'évaluer, comme vous le proposez, l'étendue des dégâts subsistants et de les mettre en perspective face à une éventuelle vie commune.
Pour le reste, je n'ai pas d'objection à ce que vous utilisiez notre correspondance, je vous laisse mettre le message en forme et vous donne l'email à utiliser pour la suite : jean.vion@laposte.fr.
Merci pour tout et à bientôt.

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