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J'ai été violée il y a 33 ans

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Janvier 2009

Bonjour,
Voici mon témoignage que je vous autorise à publier sur le web. Depuis quelques temps, je me dis qu'il faut que je fasse quelque chose de socialement visible, concernant le viol que j'ai subi, il y a 33 ans. J'ai aujourd'hui 53 ans et ce viol a eu lieu quand j'avais 20 ans.
Aujourd'hui, je vous recopie un texte que j'ai écris, il y a 3 ans et demi déjà et qui est resté, depuis dans un tiroir:
"J'ai 50 ans, il y a 30 ans de cela, à l'âge de 20 ans, j'ai été victime d'un viol. J'ai mis 10 ans à en parler à mon psy et 23 ans à le dire à ma mère, puis à une partie de ma famille. Ce secret enfoui, a sans doute été pour une grande part la cause d'une instabilité affective et professionnelle qui s'est progressivement installée de l'âge de 20 ans à l'âge de 33 ans. Après avoir fait front pendant 5 ou 6 ans, en m'installant en couple, en passant une licence d'histoire tant bien que mal et en démarrant dans l'enseignement, tout ce que j'avais construit s'est effondré:le couple et le travail. Et après une période de "passion"pour la Danse, en 1988, à 33 ans, je m'effondre dans la dépression, dont je sors ensuite lentement, grâce à une psychothérapie.
Au bout de dix ans de psy (1998), l'évocation du viol surgit brusquement pendant un entretien en psychothérapie. Et comme il y a, un avant et un après, le viol , il y a, un avant et un après, la parole sur le viol. J'ai pu depuis recommencer à construire ma vie:1999, un appartement, 2001, un emploi sécurisant, 2004 l' aboutissement d'un projet d'adoption, par l'arrivée de ma fille M. Aujourd'hui, pour me retrouver totalement, j'ai besoin d'être reconnue comme victime par le corps social. Il y a prescription depuis longtemps sur ce crime et judiciairement , j'ai fait la démarche d'écrire au procureur de la république en 1998, puisqu'à l'époque , je n'avais pas portée plainte. Le commissariat m'a convoqué pour faire une main courante. Mais je reste insatisfaite, j'ai le sentiment de me manquer. Qu'est-ce qui aujourd'hui, pourrai, nourrir une motivation dépassant la sphère familiale, le duo?".
Voila ce que j'écrivais, il y a 3 ans et qui est encore valable aujourd'hui. Je cherche toujours, ce qui pourrai me rendre une vrai joie de vivre. Je me sens encore sur le qui-vive, angoissée et ma vie affective reste insuffisante. Par ailleurs ma fille de 8 ans et demi n'est pas au courant de cette histoire, et je n'aimerai pas en faire un secret de famille, comment l'aborder? Je suis toujours en psychothérapie et je voudrais clore.

SORTIR DE LA CAVERNE

Début juin1975, j'avais 20 ans. Le lendemain de mon anniversaire, je suis sur la moto de mon petit copain qui m'accompagne sur la route, au départ d'un trajet en stop vers le sud.
Je pars faire une saison de 4 mois et demi d'été, comme femme de chambre dans un hôtel de la côte Corse, pour financer mes études universitaires, l'année suivante. En effet, j'ai quitté ma famille l'année précédente, après une violente altercation avec mon père durant mon année de terminale. En affirmant mon désir d'assumer mes choix d'études (contraires à l'avis familial), et de vie, je renonçais à l'aide financière de ma famille.

Le viol

A l'hôtel, au bout de 2 semaines, je commence à sortir avec une collègue de travail, la veille de notre jour de congé hebdomadaire. C'est encore l'avant saison. Lors de la 2ème sortie où nous allons boire un verre dans un café du bord de plage, nous rencontrons un groupe de 3 garçons Corses, avec lesquels nous discutons, plaisantons. A un moment, ils nous proposent de changer d'endroit. Nous les accompagnons dans leur véhicule. Sur le trajet, ils garent la voiture derrière un pont. Là, la conversation s'envenime. Ils nous menacent d'abord verbalement, puis, l'un d'eux avec son briquet ; Je me rebiffe, je sors du véhicule ainsi que ma collègue. Le garçon agressif me mets une gifle. Nous partons.
Cette 1ère agression en reste là, sur le coup choquée, nous oublions vite et la semaine suivante nous repartons en sortie. Nous renonçons au café pour le dancing. A peine arrivée, nous tombons nez à nez sur le même groupe que la semaine précédente. Ils sont 4 ou 5, nous tournons les talons pour leur échapper, ils nous rattrapent à la sortie de la Boîte et nous font rentrer de force séparément dans 2 voitures.
Je me retrouve seule dans une voiture avec 3 hommes, dont l'un à côté de moi d'une quarantaine d'année. Nous roulons vers les collines et l'homme me menace. Il me dit que si je résiste il va me flinguer, que dans le maquis on mettra longtemps avant de me retrouver.
Nous arrivons à une maison isolée, dans une chambre, dans un lit pour une personne et je décide de ne pas prendre de risque, de laisser faire.
Le lendemain matin, je me lève, ai-je dormi? Je n'ai qu'une idée en tête: fuir.
Les 2 habitants de la maison dont celui qui m'a violé, m'invitent à déjeuner et à visiter l'orangerais. Ils parlent aimablement, comme si rien ne s'était passé. Je leur fausse compagnie, redescend la colline à pied, rejoins l'hôtel et m'effondre, épuisée, pour ma journée de congé.
Le lendemain, j'apprends que ma collègue a pris le premier avion pour le "continent" après avoir averti la police. Je suis rapidement entendue.

Police et justice

Je raconte aux policiers ma mésaventure et j'ai droit à une réflexion du style " mais vous ne les avez pas aguichés ? " J'étais mal à l'aise. Ils m'ont fait regarder leurs fichiers. J'ai refusé de porter plainte. Le violeur et ses acolytes m'avaient menacée de me retrouver si je faisais quoi que ce soit contre eux. Par ailleurs, étant dans une position psychologique de rébellion par rapport à la loi, l'autorité et ma famille, je pensais alors, que la police n'avait pas à s'immiscer dans les affaires intimes.
Mentalement, j'excusais " ce pauvre gars " qui m'avait violée et qui n'avait même pas conscience de la gravité de son acte. Enfin, mon manque de maturité quant à la psychologie de ma sexualité, me laissait sans armes conceptuelles et verbales pour pouvoir affronter la situation.
Quelques temps plus tard, j'étais citée comme témoin, dans une autre affaire de viol perpétrée par la même personne, où la victime, une Corse, avait porté plainte avec l'aide de sa famille. Quand je suis arrivée au palais de justice, pour être entendue, il m'a fallu l'aide de 2 policiers pour m'encadrer : je devais passer devant mon violeur assis devant la porte du bureau du juge. J'étais terrorisée, mes jambes ne voulaient plus avancer. Il a fallu que les policiers me rassurent verbalement, j'ai été entendue par le juge et j'ai de nouveau refusé de porter plainte.
Tout le reste de l'été, je suis restée à travailler à l'hôtel, sans sortir, enfermée par le risque de représailles et enfin délivrée quand je suis montée sur le bateau du retour.

Enfouissement

Chez moi, au retour, j'ai raconté l'histoire à mon petit ami. Je ne me souviens pas de sa réaction. Puis j'ai oublié. Je me suis très vite installée avec mon copain, j'ai continué mes études, obtenu une licence d'histoire ; Tout s'est bien déroulé pendant 5 ans et puis la " désescalade " a commencé. Je romps avec mon ami, j'accepte des postes de Maître auxiliaire en histoire et au bout de 2 ans et quelques mois, je commence à somatiser, à tel point, que je suis en arrêt de travail 3 mois sur 9 ; Je renonce à l'enseignement qui avait motivé mes études.
A partir de ce moment là, affectivement, je ne vais plus que d'aventure en aventure et professionnellement de projets ébauchés en projets ébauchés. Je m'accroche alors passionnément à la danse contemporaine dont je fais mon occupation principale en survivant de petits boulots et d'aide sociale. Je fonde bénévolement une école de danse autour d'un projet culturel et d'un groupe de passionnés puis je tente de professionnaliser mon poste. En 1988, après une saison culturelle très animée, j'ai 33 ans, c'est le mois de juillet, je suis chez mes parents pour quelques jours et brutalement, sans signes avant coureurs, je sombre dans l'angoisse. Le sentiment de n'avoir plus aucun goût pour quoi que ce soit, m'envahit. Je ne mange ni ne dors pendant 3 jours.

Dépression

C'est le début d'une dépression que je soigne depuis.
Au départ, je souffre beaucoup physiquement .J'ai l'impression d'avoir un couteau dans la poitrine, puis d'avoir la cage thoracique grande ouverte d'où s'échappe des milliards d'araignées. J'essai d'abord de faire front en partant en randonnée en montagne. Mais je reviens dans le même état. Je ne sais pas ce qui m'arrive. En septembre, je tente l'acupuncture, je ne vais pas voir un allopathe, je refuse de prendre des calmants. Mon état empire, je ne peux plus parler, je ne réussis plus à développer une pensée logique, je ne peux plus suivre une conversation, j'ai des hallucinations.
Sortir du trou
En octobre, 2 amies, voyant mon état me conseille une psychanalyste et vont même jusqu'à m'accompagner à mon premier rendez-vous. Après avoir dépassé la difficulté de demander une aide psychologique, je m'allonge donc sur le divan, qui tangue au début et puis je parle et surtout je pleure beaucoup. La psychanalyste me fait travailler sur mes rêves, que je note chaque jour. Au début, je fais 3 séances par semaine et au bout de 2 mois, je lève un premier lièvre. Un pan d'histoire familiale refait surface : un accident familiale de mon enfance, sur lequel mon sentiment de culpabilité s'est enkysté. Je commence à aller mieux.
La verbalisation de ce morceau d'histoire traumatique a commencé à calmer les symptômes dont je souffrais. A l'époque, je visualisais mon psychisme et ses fonctions : la pensée, la parole, comme un ensemble de rouages, de roues dentelées, qui depuis ma crise, ne s'ajustaient plus, ne se répondaient plus. Ma pensée ne s'exprimait plus que par métaphores. Je souffrais toujours beaucoup. Je ne savais plus me faire à manger, moi qui suis une passionnée de cuisine, j'avais perdu l'appétit, le goût et le savoir faire. J'ai vécu une forme de régression anale. Mais la dynamique psychique, était repartie dans le bon sens, maintenant je pouvais tout reconstruire, même si cela devait être long.
E t cela fut long, au bout de 2 ans chez la psychanalyste, je pars à Paris, chercher du travail. En effet, professionnellement, ce n'est pas fameux. Je suis arrivée en fin de droit aux ASSEDIC, j'ai fait un stage magnifique au nom ronflant, de " Manager d'entreprise culturelle ", durant lequel je pleurais tous les jours et que je n'ai pas réussi à exploiter par la suite. J'arrive à Paris en 1990, j'ai trouvé un emploi d'animatrice dans un foyer qui reçoit des jeunes venant faire leur scolarité loin de leur famille pour des raisons géographiques ou sociales. Je suis hébergée chez un amis, dans un 20 m2.Je ne vais pas bien, je décide de reprendre une psychothérapie, je demande des contacts à ma psy précédente. Elle me conseille quelqu'un qui travaille en rêve éveillé. Je vais utiliser cette technique de 1991 à fin 1998.D'abord avec une femme avec laquelle le travail thérapeutique, a abouti, d'abord à une décision de reprise d'étude à l'IUFM, pour poursuivre mon projet professionnel d'origine (j'ai réussi le concours,mais je n'ai jamais été capable de prendre mes fonctions) et à la constatation d'une ménopause à l'âge de 39 ans. Puis avec un homme, Jusqu'à ce qu'enfin, je dévoile à mon psy cette histoire de viol au bout de 3 ans de travail avec lui.

Reconstruction

J'aurais donc mis en tout 10 ans pour en parler à un psychothérapeute et 23 ans à ma mère puis à certains membres de ma famille. En effet, dès le dévoilement, le flot de larme va peu à peu se tarir et je vais recommencer à construire ma vie sociale et familiale, sortir de la précarité: j'achète un appartement en 1999 ; je prépare, puis passe un concours administratif que je réussis en 2000 et je rentre en poste mi 2001 ; j'entame les démarches concrètes d'adoption dans la foulée et je vais chercher ma fille adoptive fin 2004.
Depuis je souffre moins, mais je sens aujourd'hui, qu'une partie de moi est encore laissée pour compte: professionnellement, j'ai désormais un emploi stable, relativement confortable et reconnu, mais dont je tire peu de satisfaction personnelle et affectivement, en dehors de ma fille et de mes nombreux amis, ma vie amoureuse, elle, est désertée.
Comme dans les moments de doute et de difficultés, je me suis toujours accrochée à l'idée, que je sortirais grandie de l'épreuve et que ce travail acharné sur moi-même dois me rapporter quelque chose personnellement, sinon c'est trop injuste!
J'espère par ce récit, solder mes comptes ; enlever la tâche que représentait, le fait de " ne pas avoir su prendre soin de moi " au bon moment ; et savoir transmettre à ma fille l'assurance et la force dont elle a besoin, en sachant de mon coté, transcender les causes et les conséquences de cette histoire, qui ne doit pas devenir un secret de famille. Enfin, sortir d'une position de victime, qui affole encore mes décisions et panique encore leur réalisation.

Juliette.beausoleil@laposte.net

Bonjour,
Histoire d'un traumatisme :
* http://www.sosfemmes.com/violences/viol_consequences.htm
Il semblerait que vous regrettiez de ne pas avoir porté plainte et c'est sans doute la raison d'une certaine "impasse" que vous ressentez aujourd'hui et qui vous empêche de "clore", selon vos propres mots, votre histoire.
En ce sens aussi, votre témoignage est très important car il montre en quoi la justice peut aider une victime à élaborer sa position de victime pour pouvoir la dépasser et en sortir.
Mais je voulais aussi vous dire ceci :
"L'adaptation est aussi nécessaire à la résilience que l'acceptation l'est à l'apprentissage. Quand une personne continue à lutter et à se battre contre des changements inéluctables dans son environnement ou dans son corps, elle gâche son énergie et entrave son rétablissement. Cependant, si la pensée humaine dépend étroitement des réalités nouvelles qui apparaissent, alors il est tout à fait logique que le point le plus important à communiquer en thérapie soit l'idée que le changement est possible."
C'est pourquoi Erickson évitait de promettre des guérisons qui paraissaient impossibles et affirmait parfois de manière paradoxale le caractère inévitable de "l'échec".
Vous commencez, disait-il, par développer chez le client une philosophie qui lui permet d'accepter un certain degré d'échec… mais pour lui faire comprendre que, finalement, il va réussir à quatre-vingt-dix pour cent…
Ainsi, "clore et solder", je ne pense pas que ce soit tout à fait possible mais considérez le chemin que vous avez parcouru depuis…
Cordialement,
Chantal Poignant
Conseil

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