[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @

Message ou FAQ

 

Mon amie a été violée

Email en pied de message
Septembre 2007

Bonjour,

J'aimerais que ce témoignage soit publié et recevoir des conseils aussi.

Mon amie, qui a 20 ans aujourd'hui, a été violée il y a 6 ans de ça par trois personnes. Pour établir brièvement le contexte - beaucoup de choses sont liées - il faut savoir que mon amie, appelons-la Sophie, est une enfant adoptée, qui a toujours pensé qu'elle était rejetée par sa mère. Sa famille adoptive ne l'a pas forcément aidée à se construire dans la sérénité. Sa mère était violente dans ses propos, issue d'un milieu modeste et difficile. Son père, alcoolique et brutal, a tenté des attouchements quand Sophie était jeune (mais rien de "grave" dans le sens où il n'y a pas eu de véritable passage à l'acte).

Jeune, et adolescente, Sophie a vécu à part. Se pensant rejetée et adoptée par une famille dans laquelle elle ne se reconnaissait pas. Puis sa mère est tombée malade, victime d'un cancer. Son père a également enchaîné sur une maladie qui lui a couté un rein. A cette époque, Sophie avait 12-13 ans et ne ressentait pas de grandes émotions, son monde était intérieur, à part.

Victime d'insomnie, liée à toutes ces difficultés, Sophie est sortie un soir fumer une cigarette en faisant le mur. Elle venait d'avoir 14 ans, c'était au mois de juillet. Là, à 4 heures du matin, elle rencontre trois personnes, qu'elle connaissait pour les avoir vu une fois, la veille. Sans parvenir à savoir pourquoi (amnésie), elle a suivi les trois personnes, et se souvient juste s'être retrouvée dans un local à poubelle, dans un lieu clos. Là, elle a subi une forte pression de la part d'un des gars pour coucher avec. Cela a duré un moment, peut-être 1/2 heure. Finalement, sous le coup de cette pression et de menaces de mort, elle a fini par céder. Les trois personnes se sont succédées, Sophie n'était pas consentante, mais elle avait peur et il n'y a pas eu de violences supplémentaires (apparemment, car elle n'est pas rentrée dans les détails).

Une fois leur acte commis, les agresseurs se sont amusés à cacher ses affaires. Sophie s'est mise à paniquer, à pleurer - ce qui les a bien fait marrer.

Ensuite, quelques jours après, coup de fil de ses agresseurs. Elle descend les rejoindre. Ils lui demandent à nouveau de coucher avec elle. Mais Sophie refuse et les choses en restent là. Elle voit de nouveau deux des trois gars, se fait voler son portable et fini par casser la gueule à son premier agresseur, celui qui lui a volé sa virginité.

Dans les années qui suivent, Sophie enfoui les choses au fond d'elle. Elle va très mal, fait de l'anorexie, chute en classe, fait des tentatives de suicide. Mais, finalement, au bout d'une année, elle tombe amoureuse. L'histoire va durer trois ans. A partir de ce moment, elle se reconstruit, est heureuse, épanouie. Tout va bien. Sophie apprend à vivre avec sa douleur. Puis, à l'âge de 18 ans, l'histoire se termine. Sophie passe deux ans célibataire, enchaînant les conquêtes de manière "saine" (comme tout le monde j'ai envie de dire).

Peu de temps après ses 20 ans, elle me rencontre, nous tombons amoureux, très amoureux. Je suis avec Sophie depuis 4 mois. C'est une jeune fille absolument délicieuse, qui aime la vie, rigole beaucoup, n'a aucun problème comportemental et est très libérée sexuellement. Entre-temps, j'apprends son histoire, je la devine en lui demandant comment s'est passée sa première fois... Je suis aterré, sous le choc. De ma vie, je n'ai jamais pu supporter les injustices et surtout le viol, le pire de tous les crimes à mes yeux. Ma première réaction est apaisante, elle n'y est pour rien, ça ne change rien à mes yeux, je l'aime de tout mon coeur.

Puis la colère et la rage s'emparent de mon esprit pour ne plus le lacher. J'ai envie que ces criminels payent. Sophie connait l'identité complète de l'un d'eux et les prénoms des deux autres. Sophie voit bien que cela me travaille et m'obsède, nous en parlons plus en détail, je finis par la persuader de porter plainte. Je serai à ses côtés.

Mais, quelques jours plus tard, Sophie pleure dans mes bras, elle ne peut pas revivre tout ça, elle est passée à autre chose, me dit s'être reconstruite et ne pas en vouloir à ses agresseurs. Pour elle, un procès n'amènerait rien de bon. Elle pense que les torts sont partagés, c'est son ressenti profond même si, quand elle raisonne, elle sait très bien qu'elle est la victime et que ses violeurs ont abusé d'elle. Sophie a peur. De temps en temps, elle recroise un de ses agresseurs. Un sur les trois la nargue, les deux autres l'évitent. Elle n'a pas de colère envers eux, seulement de la peur.

De mon côté, je ressens des sentiments forts, complexes, contrastés. Si Sophie n'en veut pas à ses agresseurs, si elle ne les considère pas comme entièrement responsables, c'est que quelque part elle est dans un rôle de victime "consentante". Elle consent à ce que l'horreur ait eu lieue et ne se révolte pas contre elle. Elle est passée à autre chose. Cela me blesse. Finalement, elle se sent coupable : d'avoir fait le mur, de leur avoir parlé, de les avoir suivis, de s'être laissée faire...

J'aurais besoin de conseils car j'ai peur que cela n'altère notre relation. Ce que je vais dire est très dur, mais je viens ici en toute sincérité, par besoin de comprendre. Je suis un peu déçu par sa réaction car pour moi, quelque part, elle légitime se qui s'est passé et ne se révolte pas, n'en veut pas à ses agresseurs. Donc, quelque part, elle laisse planer un doute sur son statut de victime.

Et j'ai très peur que sa résilience ne dure qu'un temps et qu'elle finisse par craquer un jour, que tout cela remonte à la surface. Ce soir, déjà, elle a craqué, pleuré, me disant qu'elle ne voulait pas revivre ça.

Que faire ? Comment accepter sa décision ? Est-elle bonne cette décision ? Est-ce qu'un procès ne la soulagerait pas ? Est-il possible qu'elle ait appris à vivre avec toutes ces douleurs seules ? Est-ce que d'aller voir un psy ne la détruirait pas plus qu'autre chose alors qu'elle a vraisemblablement trouvé son équilibre et s'est épanouie ?

J'ai presque l'impression que c'est moi qui ai un problème avec les faits, qui ne les accepte pas, et encore moins que ses violeurs soient dehors, en toute impunité, sans que Sophie ne leur en veuille et n'ai envie de les confronter à la Justice.

J'espère recevoir une réponse, et tous les témoignages qui me permettront de mieux comprendre et de prendre une décision sont les bienvenus. Mon mail peut apparaître sur le site.

Merci beaucoup,
Yehudi.

Bonjour,
Les victimes de viols ressentent souvent honte et culpabilité, c'est pourquoi votre amie dit se sentir "responsable" d'une certaine manière de ce qui s'est passé. Très souvent aussi, la victime retourne contre elle-même la haine qu'elle devrait éprouver pour son ou ses agresseurs et c'est vrai que c'est seulement en restituant au "bourreau" la culpabilité de ses actes qu'une victime peut arriver à se libérer du poids épuisant de sa faute imaginaire et cesser de se punir éternellement.
A l'origine des souffrances de beaucoup de personnes qui se sentent "coupables" de telles fautes se trouvent généralement une enfance peu protégée ("lorsqu'un enfant n'est pas aimé ou mal ou ne se croit pas aimé suffisamment, il n'accuse jamais ses parents, mais il en attribue la raison à sa propre imperfection").
Pour certains auteurs, ce sentiment de responsabilité a pour fonction de permettre aux victimes de viols d'éviter de se sentir complètement impuissantes puisque, si "elles pensent avoir fait quelque chose pour mériter l'agression, elles peuvent croire qu'elles avaient, et qu'elles continuent à avoir, un certain contrôle sur leur vie" ; ceci constituerait un mécanisme de défense face à la menace d'effondrement psychologique inhérente aux traumatismes.
Vous me dites que votre amie semble épanouie ; peut-être a-t-elle développé une grande aptitude à la résilience, laquelle est la capacité d'un individu à se construire malgré des situations douloureuses et traumatiques et il serait alors maladroit et cynique de l'obliger à reconsidérer sa position ; peut-être aussi que, cet équilibre n'est qu'une apparence et que cette personne a "préféré" opter pour un processus de refoulement, une sorte de déni du traumatisme ; dans ce cas, les symptômes rejailliront tôt ou tard mais ce n'est pas à vous de provoquer le "déclic" ; votre rôle se borne à accompagner Sophie, à lui assurer votre amour et à être vigilant mais assurément pasà jouer le rôle de justicier.
Votre réaction est compréhensible pourtant, surtout dans la mesure où, ses agresseurs n'émettent aucune crainte et se permettent même de la toiser.
Cependant, ne cédez pas à votre colère et tentez d'amener Sophie à consulter un professionnel afin qu'elle parvienne à faire le point elle-même sur sa vérité intérieure.
En effet, le fait qu'elle craque en soulignant sa douleur à se replonger dans le passé, peut vouloir dire que ses blessures ne sont pas cicatrisées et que son apparence de "bien-être" est peut-être trompeuse.
Voici des adresses :
* http://www.sosfemmes.com/ressources/contacts_psys.htm
Je prends bonne note de votre demande de publication.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil

Merci pour votre réponse, qui nous conforte dans nos choix. En effet, Sophie sent bien que sa manière de penser les événements n'est pas "saine" et que le fait d'en vouloir à ses agresseurs et de porter plainte serait plus logique. Elle était prête à le faire pourtant, puis s'est rendue compte qu'elle ne le pouvait pas pour le moment. Ca la détruirait me dit-elle. Nous allons donc avancer pas à pas, et je pense consulter le même spécialiste pour savoir comment gérer ma colère et ne pas trop pousser Sophie dans une demande qui est, pour l'instant, la mienne.

Sur le fait de ne pas provoquer le déclic mais d'attendre qu'il se produise par lui-même, je ne suis pas entièrement d'accord avec vous, même si je sais que c'est une notion élémentaire en psychologie : si nous n'avions pas eu cette discussion, si je n'avais pas été à ce point touché par ce qui lui est arrivé, et blessé par sa réaction, Sophie aurait continué à porter son masque et les conséquences, des années plus tard, auraient sans doute été redoutables... Sophie est résiliente, c'est certain, mais je me demande ce qui va se passer le jour où cela va remonter et où elle en voudra vraiment à ses agresseurs mais que la prescription ne le permettra plus (il reste encore 8 ans à Sophie) ?...

Maintenant, elle songe à entamer un travail sur ce qui lui est arrivé, sur ce qu'elle a occulté, etc. Et compte un jour parler à sa soeur, qui lui est très proche, et qui connait les agresseurs (!?)...

J'espère qu'un jour ce travail sera fait et les violeurs (êtres les plus méprisables dans l'échelle de l'humanité) punis par une peine de prison.

Je vous tiendrai au courant.

Merci,
Yehudi.
yehudi_menuhin2002@yahoo.fr

Bonjour,
Puisque vous me donnez l'occasion d'approfondir, je tiens à souligner que ce que vous considérez comme "rien de grave" à propos du comportement du père (mais que vous mettez avec circonspection entre guillemets, ce qui prouve que vous n'êtes pas vraiment dupe) a son importance, bien entendu, dans la psychologie de Sophie. Même s'il n'y a pas eu passage à l'acte, l'attitude du père a tout d'une conduite incestueuse, ce qui produit des répercussions sur l'enfant et pose la question de la mère.
Tout cela n'est pas à esquiver dans le processus thérapeutique que va commencer Sophie.
Et si au détour d'une séance, Sophie pouvait trouver le courage de porter plainte, cela voudrait dire qu'elle a enfin compris qu'elle n'était pas responsable de la convoitise des regards qu'elle a rencontrée sur son chemin et qu'elle est enfin libérée d'une certaine culpabilité qui lie toujours la victime à ses agresseurs.
Cordialement,
Chantal POIGNANT

[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @